Les voix de l’écrivant

« Dans l’oeuvre de tout poète, on entend résonner trois voix, alternées ou réunies : une voix qui convoque, une voix qui conjure, une voix qui invoque.

La première convoque le monde, celui des êtres, des paysages, des choses qui existent ou qui ont existé sous nos yeux, qui vivent et meurent avec nous et que souvent nous chérissons. Avec cet interlocuteur multiple, avec toutes les présences naturelles dont nous ne pouvons douter, le poète entre en conversation. C’est un dialogue sans fin, joyeux ou tragique, amoureux ou agressif, grave ou burlesque. Parfois nous faisons nous-mêmes la demande et la réponse.

La deuxième voix, celle qui conjure, est comme la survivance d’un rituel magique très ancien, destiné à écarter la menace multiforme qui nous guette à chaque pas. Elle aussi peut se dédoubler et simuler un dialogue. Mais alors, c’est un dialogue dangereux avec l’autre, avec le double, avec l’ennemi, qui est en nous et hors de nous.

La troisième voix, enfin, celle qui invoque, cherche à nous entraîner très loin de nous-mêmes. Elle tend vers un élargissement du champ de la conscience. C’est un élan, un appel, à la fois enivrant, téméraire et aveugle, qui n’est peut-être pas autre chose que le pressentiment de notre retour inévitable dans l’unité primordiale, cette unité dont la face négative est la disparition. »

Jean Tardieu

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