Prose de l’intérieur du poème

  « – Le chant de l’eau n’est rien si nulle oreille attentive ne le justifie; la source n’existe pas si nulle soif ne lui donne ses inimitables reflets d’argent fluide, et toi, poème, es-tu bien sûr d’avoir deux jambes, un sexe, un coeur, si tu n’es pas le fruit, les arcanes d’un homme ?

    – Je suis l’été, dit le poème.

 La voix du coeur, la voix des étoiles, la voix qui pèse les confidences, la voix d’amour et de vengeance, la belle voix des vendanges du sang dit, au fond, toujours la même chose.

    – Je suis l’été, dit le poème.

 Lente traversée sur les eaux de la mort, te voilà encore dans tes zones d’ombre, ô mon poète ! Parle-nous plutôt du soleil sur les fraises, du futur homme blotti dans le terrier pourpre de sa mère, du froment, de l’orchestre des rossignols; quitte le royaume de l’angoisse et marche à nos cites dans ces campagnes où les ponts sont les serpents d’or fin des rivières, où les heures suspendent leur vol, à l’heure de l’amour, sur le hamac frêle des horloges, où la fine tapisserie du vent piège les hirondelles…

    – Je suis l’été, dit le poème.

 Trop jeune vieillesse au corps tendu vers d’impossibles étreintes, dans la solitude surpeuplée de tes rues, cherche la femme qui t’incendiera, cherche la bouche qui t’additionnera, apprends le rire et donne-le à la foule !

   – Je suis l’été, dit le poème.

 Une lumière me brûle que je prends dans les choses, j’avance vers les yeux de ceux qui ne voient pas, pourtant je suis indigne de cette apothéose : je me tue à survivre. Je ne puis vous donner que de la solitude.

   – Je suis l’été, dit le poème.

 Prose de brindilles, feu latent, radeau de syllabes, toi qui portes les naufragés de la logique, poème, dis-nous donc les jours d’avant ta naissance et combien était chaud le front de ton esclave-maître ! Nous savons que la rime en ton corps est pareille au grelot cristallin de la machine à écrire annonçant que la phrase est finie, nous savons que tes membres se musclent de soleil, nous savons, nous savons…

    – Je suis l’été, dit le poème.

 Récapitulons : tu es la main qui tire les épis un à un de la terre pour que les moissonneuses soient si jolies quand vient l’heure de la féconde déchirure, tu es le vent qui jette des oiseaux dans les vitres des villes et l’eau folle des mares, l’herbe qui se brûle à trop jouer dans son maillot de plage; tu es l’appel vers la nonchalance de la vague, l’odeur de l’amour dans les mansardes nues. Que te manque-t-il alors pour être dieu ?

   – Je suis l’été, dit le poème. »

Marc Alyn

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