En territoires inconnus

« J’aime la poésie parce que lorsque j’écris je sais toujours d’où je pars, et je ne sais jamais où j’arrive. J’arrive toujours en territoires inconnus, et j’en sais plus après qu’avant. J’écris ce que je sais, mais je le sais pendant que je l’écris, et pour moi la poésie est toujours la source de continuelles révélations. C’est comme si, durant l’écriture, il y avait en moi de brusques ruptures de l’inconscient. En ce sens je suis assez convaincu que le mot précède la pensée, qu’il est un véhicule de la pensée. On n’écrit pas ce que l’on sait, mais on le sait après l’avoir écrit.

(…) Je ne crée pas, je suis créé. Je n’écris pas, mais je suis écrit. Quelquefois, je pense que la principale qualité que devrait avoir un poète serait celle de ne pas trahir ce qui lui est dicté par des considérations banales (avec ce qu’il imagine être, ou qu’il croit devoir être, par exemple). Je pense en ce sens qu’il est très difficile d’être spontané: la spontanéité est cachée sous une série de couches de rigidités intellectuelles, de pseudo-connaissances idéologiques, de velléités banales; la poésie brise tout cela, va au cœur des problèmes. Atteindre la spontanéité est un geste qui requiert d’infinies médiations techniques, et surtout d’autres relevant de la sensibilité, de l’honnêteté intellectuelle. (…)

Les artistes sont ceux qui vont le plus au fond des choses: je crois que toutes les formes d’art représentent, chacune à sa manière, en comparaison aux vérités de la politique, de l’idéologie et du sens commun, quelque chose de différent, une sorte d’hypervérité parfois difficile à comprendre, mais qui dépasse les schémas déterminés auxquels l’humanité s’abandonne quelquefois, non sans paresse. Elle peut ouvrir la vie à de nouveaux horizons. Chaque artiste modifie, fût-ce imperceptiblement, la manière avec laquelle l’humanité se regarde elle-même dans sa propre existence. »

Carlo Bordini

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