Ces mots silencieux

« Quand j’étais adolescent, je ne pensais pas être écrivain mais certains mots me frappaient parce que je ne les connaissais pas et ils se sont inscrits à jamais dans ma mémoire, et encore maintenant je sais où je les ai trouvés et à quelle place ils se trouvent dans la page où je les ai lus. C’est bizarre mais c’est comme ça ; j’avais une espèce de sensibilité au langage et aux mots sans être pourtant doué pour l’écriture, parce que je ne pense pas être doué pour l’écriture mais c’est simplement mon désir – mon besoin – qui m’a permis de me forger un vocabulaire et de me donner les moyens d’écrire, parce que je ne les avais pas. Et je me souviens combien je pouvais être malheureux quand j’étais adolescent et que j’avais une dissertation à faire, vraiment c’était une tâche impossible quoi. Quand même, dès que j’ai eu 18-20 ans, j’étais travaillé par ce besoin-là. Et, je l’ai déjà dit, je l’ai refoulé au maximum car je savais que ça n’était  pas possible puis que je ne savais rien de l’écriture, je n’avais jamais écrit. Mais quand j’ai eu 23 ans, alors là ce besoin d’écrire s’est imposé à moi mais d’une manière irrépressible, et je crois même que je peux dire que c’était une question vitale en même temps que je ne savais pas bien ce que ça signifiait. Quand j’ai commencé à écrire, j’étais d’une telle ignorance, d’une telle inculture. Et en même temps, il y avait ce besoin-là dont j’étais le premier surpris. Et il était si fort que, donc, j’ai dû abandonner mes études de médecine, me faire réformer puisque, en tant qu’enfant de troupe et élève de santé militaire, j’étais dans l’armée. Ce n’était pas facile, j’ai dû quitter tous les copains, tous les amis que j’avais, c’était une vraie rupture dans ma vie et en même temps c’était inévitable. Et donc après il y a eu ces années de grande confusion, de grande recherche, des années d’effondrement. Alors, à la fois, l’écriture c’était la cause de ma grande difficulté de vivre et en même temps c’était ce qui me permettait de tout surmonter. C’est toujours un peu contradictoire mais c’était ainsi. Pendant de longues années, j’ai travaillé dans l’ombre. Ce que j’écrivais ne me satisfaisait pas parce que j’avais un trop grand désir de bien faire. Donc, ce que je faisais ne pouvait que me décevoir et devait être détruit quoi. Mais, bon, d’échec en échec, j’ai un peu progressé. Et j’ai réussi à me sortir de l’ombre. C’est quelque chose de vraiment étrange que cette voix silencieuse qui parle en nous. Et parfois elle parle avec, je dirais, assez d’autorité, avec assez d’intensité. Moi, j’entends des mots, des phrases qui me viennent comme ça. D’ailleurs la plupart de mes poèmes et beaucoup de mes notes de journal, elles me sont dictées, pas toutes bien sûr, mais celles qui sont brèves elles me sont dictées. J’entends, j’entends ces mots silencieux. C’est bizarre mais c’est ainsi. D’ailleurs, ça n’a rien de particulier, je crois qu’on est tous comme ça, habités par cette sorte de voix intérieure. Simplement, l’écrivain il est celui qui va essayer de l’écouter et de la restituer. Parfois, elle me réveille en pleine nuit. J’entends tout à coup une phrase. »

Charles Juliet (entretien)

Cet article a été publié dans Extraits, Théorie. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire