« Et vous étiez je crois
L’aile d’une gare,
Ramenant au présent quelques trains déclassés,
En envoyant d’autres par temps de braise
Comme messagers vers la côte,
Ou porteurs d’eau,
Chaque voyageur convoyant sa propre citerne de larmes
Mais rêvant le front aux vitres
A des shoppings de lilas et de chansons éternelles.
Vos yeux sombres engrangeaient près de moi le soir venu
Ce texte que je vous avais prêté,
Un long dialogue de théâtre
Que vous réciteriez seule
De votre voix de petite fille bafouée, offensée
De votre ventre bouillonnant
De vos flashes, vos étincelles
Sur la scène à la lumière vendangeuse
Sans vraiment savoir alors jusqu’où je vous écoutais
Caché dans la pénombre de la salle,
Ni même l’ampleur de cette semaison.
Maladroitement jolie, infiniment belle,
Votre rose sentait le beurre, la confiture de framboises,
Votre sexe était un goûter d’après l’école
Quand le mois de mai est plein d’une maison chaleureuse
Quand l’année compte ses douze mois de fleurs et de paix heureuse.
Vous descendiez muette des engrenages sourds
En sautillant,
Toujours en sautillant,
Lourde et légère,
Fragile et forte,
Coincée à l’étage des oiseaux
A tourner les pages d’un ciel de ville
Pris par ses fumées et ses klaxons ;
Mon regard s’envole parfois
Dans ces paysages
Que je ne connais pas
Mais que je retrouve pourtant
Dans mon album parmi des photographies
D’un souvenir recomposé de moi,
Revoyant mon enfance inquiète et joyeuse
En des rues où je ne me savais pas être allé.
Vous étiez mon merveilleux livre d’images.
Vous me traversiez le corps
De votre peau douce
Vous léchiez de vos vagues
D’écume et de cheveux noirs
Ma presqu’île
Avant qu’elle ne se détache pour de bon
Du continent qui m’avait été inculqué.
Coupé cette fois du monde, j’ai abordé ce nouveau pays intérieur,
Ce pays de feuilles au féminin,
Ce souffle reboisé.
Je m’entrevoyais plus loin que moi
Sur la route des mots
Plus loin que les mots,
Je m’entrevoyais
Plus vivant que moi
Par vous
Et ce tout de vous plus loin que vous-même ne le saviez. »
Cédric Migard