« Devant cet arbre
Devant cet arbre ou ce visage
Voici que je reviens devant cet arbre
Que je retourne encore à ce visage
Que je m’arrête aux clairs bourgeons de ces paupières
Que je m’attarde à comparer des yeux, des branches
Voici que de nouveau je suis devant le monde
Devant la porte ouverte et non devant moi-même
Devant le ciel bruissant d’étoiles
Devant la terre et le soleil qui me la donne
Devant cet homme allant sans me connaître
Devant cet autre aux mains tendues
Devant la femme étreinte et son sourire
Devant la foule et son accueil chantant
Voici que je reviens devant ces tas de pierres
Que je retourne encore à leurs baisers de mousse
Que je m’arrête au tremblement d’une aile
Que je m’attarde à cette écume, à ce nuage
Que de nouveau je suis devant les routes
Devant ce long sentier que je retrouve à l’aube
Devant ce dur chemin de nuit qui me ramène
Devant le feu qui me reçoit, devant ses flammes
Devant la chambre vide et le miroir fidèle
Devant les murs brûlés, la table et la fenêtre
Devant le livre ensommeillé la lampe éteinte
Et tout à coup devant cette heure absurde
Ce doute opaque et cette angoisse
Ce blême effroi de la rupture
Où je ne sais plus voir que l’invisible
Plus rien saisir qu’absence et fuite
Et m’abandonne à la stupeur engloutissante
Au noir béant qui m’engloutit
Je parle d’un sursaut dans la durée
D’un seul instant de mort dans le souci de vivre
Quand l’ordre naturel par qui je me situe
Se trouble et se refuse et se défait soudain
Et je reviens devant cet arbre
Ici devant cet arbre, ailleurs devant les pierres
Voici que je retourne encore à ces visages
Que je m’arrête à comparer mes certitudes
Que je m’attarde à rassembler les évidences
Que de nouveau je suis devant le monde
Devant la porte ouverte et non devant moi-même
Pour rebâtir l’espace en sa rigueur première
Et renouer le fil du temps cassé. »
Claude Sernet