« Ils méditent comme il convient de méditer,
Conformes aux rituels
Du bon petit guide brahmanique, chrétien, soufi ou kabat-zinniesque,
La notice pliée en quatre dans leur poche
Et leur silence qui dit je fais de mon mieux.
Ils ont l’air appliqué, presque studieux,
Comme s’ils récitaient la table de multiplication du calme.
Ils ne savaient pas qu’on pouvait méditer
Sans maître, sans protocole et sans mantras,
Comme on écrit quand le stylo décide d’aller où il veut,
Un peu de travers,
Ainsi que le glaneur d’une histoire…
Ils écrivent, très sérieusement, comme il convient d’écrire,
Dans la lignée des cercles littéraires et des écoles.
Ils ne savaient pas qu’on pouvait écrire
Ainsi que l’on peint,
Par accident, quand la couleur déborde
Et qu’on laisse faire parce que c’est beau,
Parce que ça respire,
Caressant du pinceau la pierre comme une écorce
Jusqu’à en extraire son brou de noix,
Jouissant des visages aux yeux d’huiles et de clairs-obscurs…
Ils peignent évidemment d’une manière très correcte,
Selon les lois de la perspective ou le concept.
Tout tient bien debout
Comme un tabouret qui a toutes ses vis.
Ils ne savaient pas qu’on pouvait peindre
Comme on se perd exprès dans les taillis,
A fabriquer parmi les arbres des cabanes juste avec les yeux,
A oser franchir l’enclos du taureau,
A chercher un trésor qui a peut-être existé
Dans les éboulis d’une étable…
Ils se baladent
Comme il convient de se balader,
Pour la santé, la détente ou le dépaysement.
Ils ne savaient pas qu’on pouvait se balader
Ainsi que l’on médite,
Avec l’oreille très musicale du coquillage, du récitant,
Au diapason d’une houle profonde,
D’une mer battant les rivages…
Ils méditent comme il convient de méditer.
Ils ne savaient pas qu’on pouvait méditer
Ainsi que l’on jardine,
Que l’on prépare la terre, émonde le rosier,
Que l’on se douche de pétales de cerisier,
Que l’on s’enfonce en riant dans le chuchotis des herbes…
Et cætera… Et cætera… Et cætera…
Ils ne savaient pas que tout est égal et communiquant
Pour qui avance avec son langage premier.
Ils ne savaient pas que tout est prétexte.
Ils ne savaient plus jouer. »
Cédric Migard