« Qu’un prof, qu’un linguiste, qu’un érudit, qu’un romanisant, qu’un historien, qu’un théologien, qu’un sociologue s’imagine que la poésie doit enseigner la grammaire, la syntaxe, la langue, l’étymologie, l’histoire, la morale, la mythologie ou des anecdotes, le malheur n’est pas grand et l’on peut même tirer quelques profits de leurs élucubrations, mais que les poètes eux-mêmes en viennent à oublier que la poésie est gratuite, cela c’est une catastrophe. Et c’est pourtant ce qui se passe de nos jours où les poètes, même les plus indépendants et qui sont des novateurs, restent victimes de l’instruction obligatoire et de l’enseignement de l’École sans arriver à se défaire des tics et des manies qu’on leur a inculqués en Sorbonne sous le nom de méthode scientifique, d’histoire littéraire comparée, d’évolution des genres, de critique analytique, d’interprétation psychologique, de classification, etc., etc. (…) Ô poètes, mes frères, vous en êtes là, à fermer les yeux à chaque coup, et à les rouvrir, et à vous mettre à zieuter chaque fois qu’un prof toussote et va parler de vous,… vous citer dans un ouvrage,… et vous donner une note ou un bon point… ou, à défaut d’un diplôme, la croix ou un bout de ruban,… ou un prix littéraire…
Une vie, cela ne prouve rien. La poésie non plus. Pourquoi sommes-nous sur terre ? Tout est gratuit. Surtout la grâce. Et l’esprit souffle où il veut. »
Blaise Cendrars