Etre fidèle

« L’écriture demande la fidélité plus que toute autre chose. Etre fidèle à ce qui demande à sortir du silence. (…)

C’est que l’écrivain n’a pas à se poser lui-même comme sujet bien que ce soit de lui-même qu’il tire ce qu’il écrit. Extraire quelque chose de soi-même est tout le contraire de se poser soi-même comme sujet. Et si le geste d’extraire de soi avec assurance fait naître l’image juste parce qu’elle est transparente à la vérité de l’écrit, poser avec une inconscience vaine ses propres passions devant la vérité, la ternit et l’obscurcit.

Fidélité qui, pour être atteinte, exige une totale purification des passions qui doivent être réduites au silence afin de faire place à la vérité. La vérité nécessite un grand vide, un grand silence où elle puisse se loger, sans qu’aucune autre présence ne se mêle à la sienne, qui la défigurerait. Celui qui écrit, pendant qu’il le fait, doit faire taire ses passions et surtout sa vanité. La vanité est un gonflement de quelque chose qui n’est pas parvenu à être et se gonfle pour recouvrir son intériorité vide. L’écrivain vaniteux dira tout ce qu’il doit taire à cause de son défaut d’envergure, tout ce qui, faute d’exister vraiment, ne doit pas être manifeste et, pour le dire, il fera taire ce qui doit être manifesté, le fera taire ou le défigurera par son entremise vaniteuse.

(…)

Ainsi l’être de l’homme qui écrit se forme dans cette fidélité avec laquelle il transcrit le secret qu’il publie, étant le fidèle miroir de sa figure, sans permettre à la vanité de projeter son ombre, qui la défigure. »

Maria Zambrano

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