« Ce soir dans ce monde
les mots du rêve de l’enfance de la mort
il n’est jamais « ça », ce que l’on veut dire
la langue natale châtre
la langue est un organe de connaissance
de l’échec de tout poème
castré par sa propre langue
(…)
et rien n’est promesse
entre le dicible
qui équivaut à mentir
le reste est silence
(…)
ce soir dans ce monde
extraordinaire silence que celui de cette nuit !
ce qui se passe avec l’âme est-ce qu’on ne le voit pas
ce qui se passe avec l’esprit est-ce qu’on ne le voit pas
d’où vient-elle cette conspiration d’invisibilités ?
aucun mot n’est visible
(…)
ma personne est blessée
ma première personne du singulier
j’écris comme qui… avec un couteau empoigné dans le noir
j’écris comme je suis en train de dire
la sincérité absolue continuerait étant
l’impossible
ô reste un peu plus parmi nous !
les ébrèchements des mots
en délogeant le palais du langage
je les ai mangés, j’ai avalé de travers
j’en peux plus, de n’en pouvoir plus
des mots muselés
tout glisse
vers la sombre liquéfaction
et le chien de Maldoror
ce soir dans ce monde
où tout est possible
hormis le poème
je parle
en sachant qu’il ne s’agit pas de ça
toujours, il ne s’agit pas de ça
(…)
aide-moi à écrire des mots
ce soir dans ce monde. »
Alejandra Pizarnik