Dans la réalité du poème

« Je suis celui qui s’en va là-bas dans une rue appauvrie par la pluie et peut-être que je m’en vais tout seul ou peut-être que je traîne la rue après moi.

Il semble que le passé ne me reconnaisse pas et que l’avenir ne m’ait pas encore vu, derrière ce n’est déjà plus moi et devant pas encore et tu ne m’as pas reconnu.

Et comme on n’atteint jamais l’horizon qui cesse d’être horizon quand on le touche marcherais-je toujours vers moi que je veux et ne m’atteindrais-je jamais ?

Et pourtant quelqu’un m’a dit c’est toi Pierre comment vas-tu et je l’ai cru et j’ai tendu la main et souriant je me suis trouvé debout au milieu de moi très bien merci et toi ?…

J’étais au bout de mes doigts j’étais au bord de mes lèvres j’étais sur toute la surface de mes vêtements et bien au delà et je savais que c’était encore moi tout autour de moi.

Et comme un cortège on entre dans la maison entouré de soi et l’on est dans la chambre avant que la porte soit ouverte mais on attend pour dire bonjour que les pieds soient entrés.

Et caché au milieu de soi on assiste à la fête qu’on se donne on y chante et l’on s’y saoule de liesse et de toujours ah monsieur quel vilain temps aujourd’hui dentelle parlée.

Et l’on a une montre dans sa poche et même un calendrier qu’on va retrouver quand la bouche affaissée on reviendra de l’éternité maternelle ce poème dont se souvient le poète.

Le poète qui ne veut plus mettre dans ses vers les étoiles ces mondes lourds aux feux provisoires ni le ciel leur prison ni les anges qui ne vivent plus que dans les nuages des vieux tableaux.

Et l’on commence avec les mains l’infini que l’on finit avec l’esprit ce cher compagnon qui sait tout faire jusqu’à nous-mêmes et nous conduit partout où personne n’ira jamais.

Dans ce nulle part qui est pourtant ce qu’on peut même photographier en hiver comme en été dans les villes dans les campagnes dans un salon dans un jardin sur des lèvres ou dans des yeux.

Et que l’on peut offrir à soi-même et à quelques autres dans un poème qui a l’air d’être fait de lettres assemblées en mots ordonnés sur du papier mais qui prend la forme du poète et de son infini.

Et c’est toi que je parle quand j’essaie de ne pas dire et c’est toi que je présente quand je ne représente rien pour ceux qui sont condamnés à vivre tout plat couchés au milieu des adjectifs.

Et voici quand je mets mes mains l’une dans l’autre c’est toi qui me serres la main et quand j’écoute mes mots c’est toi qui places ceux qui sont toi, toi infinitif que les mots tuent.

Et voici je te mets dans un livre tel peut-être qu’on ne t’y a jamais mis et je continuerai à t’y mettre à toutes les pages, toi mon sublime moi, réalité de mon image dans la réalité du poème. »

Pierre-Albert Birot

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