Les mots vont plus loin

« La parole est un bâton de lumière où s’appuient les ténèbres. Les mots vont plus loin que l’homme ne peut aller, là où la mort recule les frontières de la vie… Chaque jour met au monde un matin. Je lui donne son nom, espérance ou merveille, mirabelle ou Juliette. Pour moi, les mots existent réellement. J’en fais un lit pour m’allonger, une table où écrire, une chambre d’amis. Je dois nourrir le mot cheval. Le mot chien aboie quand il flaire un os. Quand on écrit le mauvais mot, tout l’édifice peut s’écrouler. Je me baigne dans une eau que je ne peux atteindre. La phrase est un corps tout entier et je m’appuie sur son épaule. Quand on soulève sa chemise, on peut voir l’invisible.

Sur le cahier du monde, on ne voit que les os. Ce sont les mots qui dessinent le reste. Lorsque la terre s’habille, le ciel est son plus beau vêtement… J’écris comme on creuse une source… J’apprends beaucoup des arbres qui ont perdu leurs feuilles. Si les oiseaux ne connaissaient pas le silence, ils ne pourraient pas chanter…

Les phrases sont des veines au corps de la parole. Elles transportent le sens comme les fleurs distribuent leurs odeurs. La mer se greffe au sable, la parole au silence, la route à l’horizon. Les ombres se recouvrent de lumière au contact des mots…

Certaines phrases ont la tête d’un oiseau sur le corps d’un loup, le visage du soleil sur un squelette de terre. Les mots creusent un fossé où s’écoulent les larmes, un trou abritant l’âme, une aile pour le cœur, un sol pour le sens. La parole est une main. Elle retient toute chose. La poésie est un poumon d’air frais dans le vacarme noir du réel. »

Jean-Marc La Frenière

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