« Je me rappelle la naissance de la mémoire.
La source de la mer était pure d’aucun naufrage. Nul n’avait pris le deuil sur les misères de la neige; pas d’idée noire à la tête chenue, la mort était vierge.
Le pleur de joie, perle de la plus belle eau et d’un très pur orient, roulait sur la joue encore hirsute de l’ancêtre.
Quelquefois, nous croyions caresser l’horizon, quand c’était l’échine d’un mastodonte endormi, rassasié.
Les éveils, les sommeils alternaient à merveille.
La branche feuillait et fleurissait sans ignorance; le fruit effectuait la moitié du geste cueillant. La brise dans les saules suscitait des douceurs de salicional; et le rossignol, en l’absence de toute mélancolie, chantait, ami ému en toute chose, l’amour lunisolaire.
Le cœur aimait son sang et les sèves et les ondes, autres sangs…
Les chevaux de l’apocalypse étaient alors quatre poulains fringants, sur l’herbe fleurie gambadant, avec juste ce qu’il faut de gracieuse maladresse. Et de chacun vous pouviez voir la bouche légère, mouillée en suffisance de salive limpide, et les naseaux comme des roses, et le même atome de sérénité au fond de l’œil. »
Henri Pichette