J’ai pris corps

« Roulant ma modeste boule de neige jusqu’au bonhomme que je suis, j’ai pris corps dans mes mots… Un poème grince un peu dans ma cage thoracique. Ses vers comme des doigts crochètent la mémoire. J’ai laissé mon carnet sur la table, pour qu’il soigne les courbatures du langage. Il y a une chair dans les mots, du sang, de la sève, du temps, des bibelots sans valeur, des assiettes cassées, un équipage de pirates à l’abordage du rêve. La pluie s’apaise peu à peu. Le ciel se calme. Il fait beau tout soudain. Il fait soleil tout à coup. Les lèvres du sentier ont un goût de framboise et de pomme, une salive d’eau d’érable. Le dos de la montagne se précise, tout marbré d’ecchymoses. Ces traces, sans en connaître l’origine, j’en garde les empreintes dans la mémoire des yeux. Retrouvant les saveurs, les odeurs, le goût, j’épluche l’air comme un fruit. Tout ce que je vois me déborde. Tout m’entraîne et m’accueille, la terre et sa parturition, les sautes d’humeur du vent, l’envol des oiseaux. Lorsque de hautes coulées d’azur dévalent devant moi, une dévotion sans Dieu me fait prier debout. Je ne perds pas l’espoir. Je l’égare quelque fois sur un coin de table ou un banc de parc. Un autre s’en empare pour en faire son pain. »

Jean-Marc La Frenière

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