« Comment écrire le désir ? Comment approcher ce qui nous meut, chacun, intrinsèquement… Comment ne pas cesser d’être à-côté, en-deçà, et ne cesser d’imaginer autour de ce réel introuvable, invérifiable, la vérité de notre corps ?
Les effets du désir nous arrivent au futur antérieur. Si seulement on avait su… De cette méconnaissance, de ce temps de retard irrattrapable naît la pensée, je veux dire cette faculté de penser le désir précisément à l’endroit du manque. Pareil au foulard qui s’échappe de main en main sans qu’on puisse l’attraper, mais seulement s’exclamer, après coup : il était là, je l’ai vu. Qu’est-ce qui le retient du côté de l’écriture, dans ce qui le constitue comme écriture même ? Car le désir, je crois, s’écrit, et pas seulement dans les livres…
Parfois celui qui écrit avance dans la pénombre sans savoir exactement ce qui s’écrit mais comprenant confusément que ce qui s’écrit là le précède… C’est le plus mystérieux sans doute, par quel procédé confie-t-on à cette main prolongée d’un stylo ou d’un ordinateur de tracer, presque à notre insu, ce qui s’écrit ? Car dans toute écriture, je crois, il y a un texte sous-jacent à ce que l’on veut conduire en ligne de tête, et que l’on maîtrise avec plus ou moins de talent et de force. Ce sous-texte que l’inconscient arme comme il arme nos rêves, nos lapsus, nos actes manqués, les dates signifiantes de nos vies, les prénoms aimés… Là précisément se trouve à se risquer, vraiment, le désir. »
Anne Dufourmantelle