Voici deux versions d’un texte écrit lors d’un atelier par une participante, Azalea Barichello. Suite à la lecture de la première version, nous avons eu le sentiment que quelque chose ne fonctionnait pas. Le « lecteur » ne parvenait pas à prendre pleinement sa place dans le texte; le « mouvement » du texte semblait empêché, gêné. Pour moi, il s’agissait simplement d’une question liée au champ morpho-syntaxique, à savoir une question d’organisation, de structuration des éléments de la séquence. J’ai alors proposé de faire basculer en début de texte les lignes 2 à 4 du troisième paragraphe. A première vue, ça n’a l’air de rien, et pourtant… D’abord, de manière tout à fait subjective, à l’écoute de la seconde version, il était clair que le texte « coulait » plus naturellement; on y était, et sans effort… En y regardant de plus près, il y avait désormais une gradation (nappe/bouquet – terrasse – route/asphalte) créant un effet de zoom inversé en même temps qu’un effet d’éloignement. Ce mouvement de « caméra » allait de pair avec le passage d’une très grande proximité entre les personnages (petits-enfants et grands-parents, « collés ») à une mise à distance (l' »arrachement »), de la présence à l’absence, du jour à la nuit. Ainsi, une cohérence était trouvée entre l’écriture (l’ordonnancement des éléments de mise en scène) et l’anecdote: cela se passait désormais également au niveau de l’effet, en adéquation avec le point de vue du personnage principal (le « tu »).
Texte (version 1):
Sur la terrasse ensoleillée,
sur la nappe orangée,
nourrie de rêves d’enfance,
tu regardes les joues lisses répondre aux peaux ridées,
les boucles fines se mêler aux fils d’argent.
Olivier se colle à son grand-père,
mange ses gestes, sa voix.
Manon goûte les raisins égrainés par grand-mère.
Sur la terrasse ensommeillée,
sur la nappe chiffonnée,
tu poses un bouquet de senteurs.
Les pétales s’ouvrent, embaument.
Parfum de nuit.
Les cigales cisaillent une carte postale.
Tu charges Titine, tu arraches les pleurs des enfants.
Tu roules, tu roules, les mains figées sur le volant pour ne pas tourner à 180 degrés.
Sur la route abandonnée,
sur l’asphalte mouillé,
tu roules
Texte (version 2):
Sur la nappe, tu poses un bouquet de senteurs.
Les pétales s’ouvrent, embaument.
Sur la terrasse ensoleillée,
sur la nappe orangée,
nourrie de rêves d’enfance,
tu regardes les joues lisses répondre aux peaux ridées,
les boucles fines se mêler aux fils d’argent.
Olivier se colle à son grand-père,
mange ses gestes, sa voix.
Manon goûte les raisins égrainés par grand-mère.
Sur la terrasse ensommeillée,
sur la nappe chiffonnée,
parfum de nuit.
Les cigales cisaillent une carte postale.
Tu charges Titine, tu arraches les pleurs des enfants.
Tu roules, tu roules, les mains figées sur le volant pour ne pas tourner à 180 degrés.
Sur la route abandonnée,
sur l’asphalte mouillé,
tu roules
Merci à Azalea Barichello