« Ta petite fille revient de Crète. Son père lui a raconté l’histoire du Minotaure. Elle veut y jouer. Je suis Ariane et, le Minotaure, ce sera lui, me dit-elle, désignant un ours en peluche au museau décoloré. Plusieurs heures dans un parc, je regarde Ariane la brave, cinq ans et demi, aller et venir dans les buissons, un fil de plastique orange à la main pour ne pas se perdre. Des promeneurs passent près de nous, souriant devant un Minotaure à l’allure faussement débonnaire. Les absents et les présents, les imaginaires et les réels, tous entrent dans le jeu, répondant à l’appel de la voix claire. Phèdre est là, me dit-elle, montrant un espace vide à côté d’elle, une trouée d’air et de soleil, et juste derrière il y a ma mère. Dans cette parole qu’elle prononce, il y a une seconde où je te vois, où je te vois réellement sans m’en étonner : c’est la parole qui donne à voir, ce ne sont pas les yeux, ce ne sont jamais les yeux. »
Christian Bobin