Faire advenir le réel

« Je crois qu’habiter poétiquement le monde, c’est l’habiter aussi et d’abord en contemplatif.

Contempler est une manière de prendre soin. C’est casser tout ce qui en nous ressemble à une avidité, mais aussi à une attente ou un projet. Regarder et s’émouvoir de l’absence de différence entre ce qui est en face et nous. (…)

Que faire de mieux que de saluer ceux qui sont dans le passage avec nous ? (…)

Le monde est rempli de visions qui attendent des yeux. Les présences sont là, mais ce qui manque ce sont nos yeux. (…)

Les techniques nous facilitent la vie apparemment. Mais c’est un dogme aujourd’hui qu’on ait la vie facilitée. Qui a dit que la vie devait être facile et pratique ?

Est-ce qu’aimer c’est pratique ? Est-ce que souffrir, est-ce qu’espérer c’est pratique ? La technique nous éloigne de ces choses-là, et fait grandir une lèpre d’irréel qui envahit silencieusement le monde.

La contemplation, ce qu’on appelle la poésie, c’est le contraire précisément. C’est le contraire même de ce qu’on entend trop souvent par poésie. Ce n’est pas une décoration, ce n’est pas une joliesse, ce n’est pas quelque chose d’esthétique, c’est comme mettre sa main sur la pointe la plus fine du réel. Et en le nommant, de le faire advenir. Le réel est du côté de la poésie et la poésie est du côté du réel. (…)

Les instants de contemplation sont des instants de grand répit pour le monde, car c’est dans ces instants-là que le réel n’a plus peur d’arriver à nous. »

Christian Bobin

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