L’exigence de liberté

« La poésie, c’est être exact avec la vie, c’est le point d’incandescence de toute réalité, cette énergie, cette prémonition, ce rêve, cette tentation, cet aimant. Elle est un accélérateur de conscience et un diapason d’existence. Grâce à elle, la vie devient un jaillissement possible. Dans notre monde antipoétique et en manque de notre part d’être, la poésie est une profonde leçon d’inquiétude et la condition même d’une cité libre. Elle est en fait la seule objection radicale de notre monde : contre l’enfermement médiatique, contre le langage partagé, figé, cravaté, contre la parole sans cesse présente mais creuse, cette langue molle faite de pseudo récits fictionnels qui nous pénètre sur tous les aspects de notre existence, bref contre tout ce qui nous fait devenir des clones soumis et enlacés dans la paresse de la conscience.

Nous sommes des êtres complexes, en permanente métamorphose, c’est ce que traduit la langue des poètes et non pas la langue des médias aplatie, simplificatrice et composée de schémas évidents sans interrogation. La réalité, un mille-feuilles et non pas juste résumée à la surface du réel : elle est composée d’affects, d’émotions, de sentiments, de sensualité, de profondeur, d’invisible. (…)

Nous vivons actuellement dans un monde totalitaire, dans le sens où il forme un tout clos mené par le gouvernement de l’imaginaire collectif. Ceci explique l’exil des poètes, depuis toujours, car il gênent. Ils rejettent l’immobilisme, cette vision arrêtée objective, et remettent tout en question: la société dans le garde à vous, c’est-à-dire une vie en peur avec une mise en ordre et une mise au pas invisible où l’on nous dit toujours quoi faire.

La poésie, c’est cette manière d’être, d’habiter, de s’habiter. C’est la liberté libre dont parlait Rimbaud, contre l’ordre et les injonctions qui ne laissent pas de place aux objections. En écoutant un poème, on entend une autre langue, le poème dissone. Le poème dit l’autre vérité du monde, il nous ramène à l’exigence de liberté. »

Jean-Pierre Siméon

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