« La grâce nous offre l’espérance et nous enseigne la beauté. C’est la naïve leçon des jours qui ne m’a jamais quitté. Nous allions sur la route d’un après-midi incendié, foulant la rocaille sous le pur bleu d’un ciel. Des pierres, le soleil, ce peu d’herbe, la lumière alimentaient mes petits pas. J’avais dix ans peut-être et ne connaissais rien de la grâce qui vous pourfend le cœur. Une femme me tenait par la main, portant à l’autre bras son unique bien, une sorte de baluchon sali par l’épreuve des jours. On m’appelait Romanichel. Je me souviens: nous avions faim et soif, nous avions hâte d’atteindre le point blanc de la vallée, là-bas, là-bas, très loin du regard qui pillait l’horizon. Peu importe que ce soit le désert ou la nuit. Dans notre dos, la maison n’était plus que cendre. Les troupeaux avaient fui. Tant d’autres hommes s’étaient enfouis dans le silence, préférant la défaite des mots à la parole qui délivre.
Lentement, je suivais le pas hâtif de cette femme. Des larmes tremblaient dans sa poitrine, secouant les pierres, le soleil, la lumière. Mes yeux d’enfant cherchaient un peu de joie dans ce ravin où nous avions roulé sans le vouloir. Soudain, sur un caillou, j’ai vu un papillon, un merveilleux papillon qui avait posé là ses couleurs et ses ailes. Il s’envola devant nous deux, entraînant sa grâce dansante dans le ciel. Longtemps, mon regard suivit sa course jusqu’à la mort de cette image.
J’ai conservé dans mon cœur le velouté mauve et or du papillon qui danse toujours devant mes yeux d’enfant. Il est bel et bien demeuré mon seul maître. Dans les jours sombres, il vole à mon secours, ce beau papillon de la joie. »
Joël Vernet