Un second cœur qui bat en nous

« Le passé, c’est un second cœur qui bat en nous…
On l’entend, dans nos chairs, rythmer à petits coups, sa cadence,
pareille à l’autre cœur, plus loin.
L’espace est imprécis où ce cœur a sa place,
mais on l’entend, comme un grand écho, néanmoins,
alimenter le fond de l’être et sa surface.
Il bat. Quand le silence en nous se fait plus fort,
cette pulsation mystérieuse est là qui continue.
Et quand on rêve il bat encore,
et quand on souffre il bat, et quand on aime il bat…
Toujours ! C’est un prolongement de notre vie…
Mais si vous recherchez, pour y porter la main,
où peut être la source heureuse et l’eurythmie de son effluve…
Rien ! Vous ne trouverez rien sous les doigts…
Il échappe. Illusion. Personne ne l’a trouvé jamais…
Il faut nous contenter d’en sentir, à coups sourds, l’élan précipité,
dans les soirs trop humains où ce grand cœur résonne.

Le passé! Quel mot vain! C’est du présent, très flou,
c’est du présent de second plan, et voilà tout.
Il n’est pas vrai que rien jamais soit effacé.
Le passé n’est jamais tout à fait le passé.
N’avez-vous pas senti comme il rôde partout, et tangible ?
Il est là, lucide, clairvoyant,
non pas derrière nous, comme on croit, mais devant.
L’ombre de ce qui fut devant nous se projette
sur le chemin qui va, sur l’acte qui s’éveille.
Ce qui est mort est encore là qui nous précède,
comme le soir on voit, au coucher du soleil,
les formes qu’on avait peu à peu dépassées
envoyer leur grande ombre au loin, sur les allées,
sur tout votre avenir, plaines, taillis, campagnes !
Et s’en aller toucher de l’aile les montagnes…

Ainsi, tout ce qui fut, jeunesse, enfance, amour,
tout danse devant moi sa danse heureuse ou triste.
Rien derrière ! Le groupe est là qui vole et court.
Mais j’ai beau me hâter, la distance persiste entre nous deux.
Tel je m’en vais, épris du bleu lointain,
et quelquefois si je titube un peu,
ce n’est pas que le sol sous mes pas se dérobe,
c’est que parmi le soir, les yeux pleins de passé,
ô toi qui vas devant, souvenir cadencé,
j’ai marché sur la traîne immense de ta robe ! »

Henry Bataille

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