« J’habite une planète improbable
dans un pays improbable
près d’un fleuve
ça s’appelle
la Terre
la Belgique
et la Meuse
ça sent les frites l’usine la betterave
c’est souvent l’automne
il y a une centrale nucléaire aussi juste à côté
si ça explose
tout le monde est mort
d’après ce qu’ils disent
ça n’arrivera pas
mais ils ne disent pas que si ça arrivait
on ne pourrait pas le savoir
puisqu’on serait mort
quelque part
tout le monde se doute bien que c’est très dangereux
mais tout le monde s’en fout
comme si on avait oublié
c’est chez nous
alors on est habitués
on part en vacances
on fait le concours du premier qui voit la mer
on revient
on fait le concours du premier qui voit la centrale
la voilà
comme elle est belle
trois volcans qui fument
et les nuages qui montent
qui montent
qui montent
qui montent
jusqu’au ciel
ça ne s’arrête jamais
comme si c’était la nature
c’est ça qui est trompeur je crois…
pour le moment c’est la crise
la crise de quoi
on ne sait pas
la crise
c’est comme ça qu’on dit
pourtant
normalement
une crise
c’est quand il se passe quelque chose de grave
et que ça ne dure pas longtemps
comme une crise d’épilepsie…
chez nous la crise dure depuis longtemps
personne ne sait dire
quand elle a commencé
en plus il ne se passe pas grand chose
ou alors il se passe tellement plein de choses
que c’était comme s’il ne se passait rien
il y a beaucoup de mots comme ça chez nous
des mots qui ne veulent rien dire
on se parle avec
mais ça ne sert à rien
comme si tout ça
c’était du Chinois…
un adulte
c’est un assassin
quelqu’un qui a suicidé le petit enfant
qui habitait à l’intérieur de lui
un jour il a pris un fusil
il a mis son petit enfant contre un mur
et il lui a dit
ferme les yeux
pour quoi faire ?
pour rien
tais-toi maintenant et fais ce que je dis
sans se méfier l’enfant a obéi
l’adulte a visé
pan !
l’enfant s’est écroulé
vite chercher un sac poubelle pour le cacher
le charger dans le coffre
rouler
le balancer dans la forêt
bon appétit les sangliers…
je ne veux jamais être un adulte…
mais j’ai peur
j’ai très peur
je me dis
et si quand on est petit
tout le monde se dit la même chose
mais que plus tard personne n’y arrive ?
et si personne n’y arrive
pourquoi moi j’y arriverais ?
l’enfant est là
contre le mur
les yeux bandés
pour sa surprise
mon fusil est braqué sur lui
le bras tendu
le doigt sur la détente
je transpire des grosses gouttes
je n’ose pas tirer tout de suite…
j’hésite un peu trop longtemps
l’enfant me demande
mais qu’est-ce que tu fais ?…
il retire le bandeau
il me voit
avec mon fusil braqué sur lui
en train de transpirer
je vois ses yeux
ses yeux qui comprennent
là c’est fini je lâche
pardon
j’ouvre les bras pour le serrer
il vient…
et on part
main dans la main
tant pis si les autres adultes se foutent de nous. »
Julie Remacle
Terrible !